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7 février 2011 1 07 /02 /février /2011 07:13

 

 

Haine et intemporalité

 

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           Parmi les sentiments humains, il y a ceux qui sont avouables, considérés comme des qualités, et qui sont parfois, souvent, mis en exergue, amplifiés lorsqu’ ils nous sont personnellement attribués ou qu’ils sont conférés à un défunt que nous admirions

          L‘amour, le don de soi, la générosité, l‘empathie, la bonté, la disponibilité sont des traits de caractères dont nous sommes fiers, dont nous espérons être largement dotés.

          Il y en a d’autres que rarement nous oserions avouer qu’ils font partie de notre personnalité, non pas dans le cadre de nos qualités, mais plutôt dans celui de nos bien vilains défauts.

          Il y a quelques jours, ou quelques semaines, je relisais quelques textes enfouis au fin fond de mon ordinateur et suis interpellé par deux d’entre eux qui, émanaient de deux correspondantes et qui tous deux parlent de haine.

          L’une écrit “ je te hais” en parlant d’une autre personne et l’autre écrit “je les ai haïs tous les deux”.

          Cela interpelle, ces haines sont elles définitives ou seulement des sentiments passagers, dus à la colère, à la déception et qui finiront par s’estomper, par perdre de leur acuité avec le temps ?

          Je peux aisément m’imaginer qu’une de ces dames, arrivée au crépuscule de sa vie, à la fin de sa journée sur cette terre, lorsque le soleil se couchera définitivement à ses pieds, se retrouvera seule, sur une longue route poussiéreuse allant vers son hypothétique futur.

 

Un colloque de fantômes

 

          Elle chemine, à son rythme, sans aucun état d’âme, elle est bien, soulagée de ses maux terrestres, elle n’est pas pressée, la route est rectiligne, blanche de poussière.

          De part et d’autre, un désert de sable couleur ocre, peu de pierrailles, aucune végétation, au loin, un horizon un peu moins monotone, quelques collines mais toujours cet environnement désertique.

          Elle n’a aucune frayeur, elle se sent étrangement en sécurité.

          Tout à coup, apparaissent deux personnages, ils viennent vers elle, ils sont très dissemblables.

         L’un, un noble vieillard, vêtus d’invraisemblables oripeaux d’un autre âge, l’autre son compagnon est en uniforme, orné de quelques discrètes décorations dont la croix de fer, fringant, botté, fièrement sanglé dans ses habits de général de l’armée allemande, képi impeccable, rasé de frais, sérieux.

          Il tient à la main gauche, coincé sous son aisselle un bâton de commandement, il respire l’autorité, la confiance en soi, une morgue toute germanique et s’avère rapidement être le Feld-maréchal Erwin Rommel, un des rares généraux de l’armée allemande auquel il n’aurait pas été reproché des crimes de guerre.

          Notre Dame, que nous appellerons Evelyne pour la facilité de la narration est un peu décontenancée.

 

          C’est le militaire qui lui adresse la parole:

-” Madame,, où étiez vous le 17 juillet 1944 dans la matinée lorsque ma voiture a été mitraillée, détruite, que mon chauffeur a été tué et que je gisais gravement blessé dans un fossé de Normandie ?”

- “ Je pense, Monsieur que j’étais chez mes parents, dans la cuisine, car il ne nous était pas autorisé de sortir de crainte de la mitraille ou des éclats d’obus de D.C.A.”.

 

          Rommel continue: - “ Et à quoi pensiez vous à cet instant ?”

- “ Je me disais: Vivement que les troupes alliées viennent nous délivrer et que cette horrible guerre prenne fin.”

 

          Le général : “ Pouviez-vous imaginer que moi aussi, ainsi qu’une bonne partie des soldats qui étaient sous mes ordres pensaient aussi qu’il serait souhaitable que les alliés mettent le plus rapidement fin à ce carnage ?”

Et Evelyne de répondre, funeste réponse s’il en est : “ Non Monsieur car à cette époque, je vous haïssais ainsi que vos semblables.”

 

          C’est alors au vieillard de prendre la parole.

          Il était vraiment d’un autre temps, sa main droite parcheminée était soutenue par un bâton élagué d’un improbable arbuste du désert.

          Ses haillons, étaient indescriptibles, vieux, sales, grisâtres, soutenus par une corde qui lui enserrait les reins.

          Il avait une barbe, non pas taillée ni fleurie, mais hirsute, sauvage, grise elle aussi avec des mèches rousses, brunes ou noirâtres, peu soignée, pas peignée, généreuse jusqu’à l’estomac.

          Sa chevelure, poivre et sel, elle non plus pas disciplinée, cachait ses oreilles, faisait penser à la canopée d’une quelconque forêt tropicale un soir de tornade.

          Sa face, ou du moins ce que l’on pouvait en voir était burinée, un nez sémite, des paupières plissées, crevassées par l’âge hébergeant deux pupilles d’un noir profond, pétillantes de malice mais aussi de bonté.

 

          Saint Pierre, puisque c’était lui dit:

-”Mon enfant, vous venez de dire que vous avez eu de la haine pour cet homme, mon compagnon de route, que vous ne connaissiez pas. C’est bien regrettable, mais je ne peux vous laisser entrer immédiatement dans mon paradis, vous devrez faire un stage d’une durée indéterminée et méditer longuement sur ce sentiment de haine qui vous a accablé. Ce stage vous le ferez dans un lieu appelé purgatoire et durera le temps qu’il faudra car la haine est le plus vil des pêchés capitaux.”

 

          Avant qu’Evelyne ait pu s’expliquer, négocier éventuellement, les deux personnages avaient disparus.

          Elle se trouvait devant une bâtisse, solide, en pierres taillées, un château de type médiéval, le portail, solide en deux vantaux de chêne épais, consolidés par de la ferrure faisait penser à un couvent ou mieux encore à une prison, mais comment parfois savoir différencier.

          Une petite porte s’ouvre et notre amie entre en ce lieu de méditation comme le disait Saint Pierre pour “un temps indéterminé”.

 

 

Intemporalité

 

 

         Rien de dramatique, me direz-vous, un peu de repos, un peu de méditation sur ses fautes passées n’a jamais fait de mal à personne.

 

          Le problème, la souffrance n’est pas à ce niveau, elle vient de cette petite phrase prononcée par Saint Pierre: “ Pour une durée indéterminée.”

          Priver quelqu’un de la notion de temps est probablement le pire des supplices.

          Impossible de faire un compte à rebours, de dire... “ encore autant de jours “ ... “encore autant d’années “ ... “encore autant de minutes”...

          Le temps n’a plus de valeur.

         

          Songez au prisonnier, enfermé dans sa cellule, sans fenêtre avec la lumière artificielle en permanence; il essaye bien de savoir où il en est en suivant le rythme et la composition de ses repas, mais s’aperçois rapidement que ce rythme est hypothétique et que la composition est aléatoire, il peut avoir deux fois de suite ce qu’il suppose être le repas de midi, puis trois fois de suite du café, qu’il présuppose être le petit déjeuner.

          Au bout de moins de deux semaines, après qu’il ait perdu, dans son ennui la notion de rythme de veille et de sommeil, il ne sait absolument plus où il en est dans le compte des jours.

          Il en est de même lorsque l’on suit un traitement de radiothérapie, fixé sur la civière, avec interdiction de bouger, si une crampe survient et que vous avez quelques velléité de bouger, une voix vous dit...“patientez“.... “encore un peu de temps” ... “c’est bientôt fini“. “.je vous en prie, ne bougez pas” ... “nous faisons notre possible” ... “courage“... c’est très bien mais combien aimerions nous qu’on soit un peu plus précis ... “encore deux minutes” ... “encore quatre minutes et trente secondes” ... “encore vingt secondes“...

          Il est alors possible au patient de se repérer en fonction de son rythme respiratoire, de ses pulsions cardiaques, mais sans point de repère , que faire ?

          Priver un être humain de la notion de temps est certainement la pire des souffrances, la pire des tortures.

 

          Alors, lorsque l’on nous parle de la béatitude pour l’éternité, je ne sais vraiment plus que penser.

 

 

                                                                                                 E.A.Christiane

 

                                                                                         Anderlecht le 06.02.2011

 

 

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