Agrocarburant et économie rurale
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Que de polémiques concernant l’éventuel remplacement partiel de l’énergie fossile par une énergie de meilleure alois !
Déjà, il y a soixante ans, souvenez-vous du tollé généré par l’idée que l’on pourrait abîmer notre belle nature par la construction d’affreux barrages hydroélectriques tout en bêton.
Puis ce fut le nucléaire et le spectre de la mort; même les éoliennes ont été critiquées parce qu’elles risquaient de perturber le flux migratoire des oiseaux, voire l’humeur des chats de la fermière voisine.
Maintenant, on attaque de plus en plus les agro carburants qui généreraient une désertification de vastes territoires et la famine parmi certaines populations préférant consacrer leur énergie à la culture industrielle aux détriments des cultures vivrières.
C’est à se demander si nous ne voulons pas systématiquement éviter, non pas de nous séparer, mais ne serai-ce que nous distancier légèrement de cet énorme lobby de l’énergie fossile, des Sociétés pétrolières et de leurs fournisseurs.
A un moment de ma carrière en Afrique, je me suis trouvé devant un dilemme et ai dû envisager de trouver une solution à un problème à première vue, mais à première vue seulement insoluble.
Et comprenez bien que, en toute modestie, si je vous en parle c’est que nous avions trouvé une solution.
En novembre 1978, je venais d’être muté dans une plantation du Territoire de Budjala dans l’Ubangui, une plantation de 4.850 hectares d’hévéas en pleine production, un programme d’extensions avec obligation impérative de la part de mon employeur de faire de la production exportable.
Lisez: payable en devises.
Cette plantation avait été créée après la seconde guerre mondiale par une équipe d’ingénieurs agronomes qualifiés dont mon beau père faisait partie.
Elle avait toujours été bien tenue, bien soignée, bien gérée par des techniciens qui connaissaient leur métier et dont certains venaient des Terres Rouges du Vietnam.
C’est là que j’avais commencé ma carrière en 1955, j’y était resté jusqu’à mon mariage en 1958 puis, vingt ans plus tard, y avait été réaffecté en tant que Directeur-responsable.
Marasme économique de la petite agriculture locale
Cinq ans après les mesures de zaïrianisation du Président Mobutu, la situation économique et spécialement l’économie agricole était au plus mal.
L’huile de palme, par exemple qui était exportée en grande quantité ne sortait plus du pays, et la production locale suffisait à peine à couvrir les besoins de la population autochtone.
Il s’avérait donc plus que nécessaire de générer des devises à l’exportation en augmentant la production de ce qui pouvait être exportable, le caoutchouc, le café, le cacao et le thé, par exemple.
Nous produisions journellement 15 tonnes de caoutchouc d’excellente qualité demandé et très bien coté par les industriels du pneumatique les plus exigeants du marché mondial.
Cela tournait, bien organisé: 3.000 travailleurs, agents de maitrise et cadres congolais et deux expatriés.
J'étais directeur et avais à mes côtés un technicien originaire de la région de Charleroi, un homme d’expérience, très qualifié, il s’appelait Jean-Baptiste D.
Cela marchait très bien.
Mais, dans cette plantation, il y avait aussi une nouvelle usine à cacao, construite dans les années 1958 et jamais l’installation de la plantation n’avait suivi suite aux évènements et à l’instabilité politique des années 1960 et plus tard.
L’idée initiale était de faire du cacao sous hévéas sur plusieurs milliers d’hectares (2.000 je pense), seuls 175 hectares avaient été plantés et produisaient bon an mal an une trentaine, voire une quarantaine de tonnes de cacao par an.
Cette usine à cacao était nettement sous employée.
Elle était cependant impeccable, des batteries de cuves de fermentation, deux gros Gordon drier de 5 tonnes chacun (séchoirs horizontaux), animés par deux moteurs Lister Diesel 6 cylindres (FR6), un trieur hollandais deVries et les cribles adéquats.
Elle avait très peu servi et se trouvait là, en quasi stand by.
Du café, cela n’est guère difficile à usiner, s’il arrive dépulpé, humide, à moitié sec ou sec, c’est très facile à traiter, un séchage complémentaire adéquat, un calibrage suivi d’un triage rigoureux et vous obtenez du robusta de très bonne qualité..
Pour le cacao c’est un peu plus compliqué, le magma, extrait de la cabosse, mélange de fèves et de mucilage sucré, doit être mis en fermentation par cuves de 1,5 m3, la fermentation doit débuter par l’intermédiaire de saccharomycès (spores blanchâtres que l’on trouve entre autre sur les feuilles de bananiers), parfois, en début de saison la fermentation doit être amorcée par l’ajout de quelques kilos de sucre .
Cette fermentation est d’abord alcoolique, elle doit faire monter rapidement la température à plus de 43°C pour tuer l’ embryon de la fève et éviter qu’elle ne germe, puis la masse en fermentation doit être aérée tous les jours pour évacuer le CO2.
La fermentation alcoolique dure environ trois jours, puis elle devient acétique et doit être surveillée heure par heure afin de l’arrêter dès qu’elle risque de devenir butyrique.
La fève est alors gorgée de liquide mauve-violet, bien dodue et prête à être séchée.
C’est une technique que je connaissais parfaitement ayant déjà fait dans ma vie plusieurs milliers de tonnes de cacao de toute première qualité.
Du problème..
Dans les environs de notre plantation il y avait des dizaines de fermiers congolais avec de modestes plantations de café et de cacao et ils se lamentaient parce que personne n’était plus là pour les conseiller et leur acheter leur production.
Ils avaient soit créé leur petite plantation, soit avaient profité du décret Mobutu sur la zaïrinisation et n’étaient absolument plus encadrés ni techniquement ni commercialement.
Ils voyaient dans un très proche avenir que la production de l’année allait se détériorer, allait pourrir sur pied faute de directives et de commerçants fiables pour acheter le produit.
Tous les jours j’avais la visite de ces malheureux qui venaient à mon bureau me demandant de les aider, d‘essayer de trouver une solution à leurs problèmes.
Pauvres gens, on pouvait les comprendre !
En y réfléchissant, la situation n‘était pas sans issue: nous avions la technicité, nous avions le matériel, nous avions (certainement) l’accord de mes chefs de Kinshasa et de Londres, le seul problème était de trouver du carburant pour mettre tout cela en musique (pour faire tourner les séchoirs).
Je savais que durant la seconde guerre mondiale, les Japonais, en Extrême-Orient avaient fait fonctionner des usines à caoutchouc avec de l’huile de palme comme carburant.. mais impossible de trouver de la documentation.
J’avais aussi lu quelque part que la capacité thermique, énergétique de l’huile de palme était égale à 80 % de la capacité du mazout, mais avais aussi constaté que l’huile de palme était liquide à partir de 28°C; sous cette température, elle est figée, elle est graisseuse.
Il était donc nécessaire de ne pas arrêter un moteur alimenté à l’huile de palme sinon tout le système d’injection (tuyauteries, pompe d’injection, injecteurs etc.) auraient été colmatés et auraient dû être totalement démontés et nettoyés.
Une petite expérience au laboratoire de l’usine à caoutchouc m’a démontré que la viscosité, la fluidité de l’huile de palme était, à la température de 70 ° C environ identique à celle du mazout.
Restait à avoir de l’huile de bonne qualité.
Nous ne faisons pas d’huile, mais la plantation de Binga à 80 Km faisait de l’huile parfois à moins de 2 % de FFA ( AGl ou Acide gras libre).
Il fallait éviter que l’acidité de l’huile n’attaque trop rapidement les injecteurs des moteurs.
Bref, je me procure 10 futs d’huile de palme de la meilleure qualité possible puis je pose le problème à Jean-Baptiste en ce sens...
1.- Nous avons de l’huile de palme de bonne qualité
2.- Il faut la chauffer à 70°C sans consommer de carburant
3.- Il faudrait l’injecter dans le circuit mazout des lister par un système quelconque tout en coupant l’arrivée du mazout.
4.- Il faudrait en tous cas, arrêter les moteurs après avoir purgé totalement le circuit d’injection de toute huile de palme pour éviter un colmatage.
Penses-y nous en reparlerons.
A la solution
Nous avons construit un réservoir en tôle d’environ 80 à 100 litres que nous avons placé au dessus des moteurs Lister (cela permettait un approvisionnement par gravité).
Nous avons placé au fond de ce réservoir un serpentin s’échappant à l’air libre et branché, à l’admission, sur l’échappement des moteurs diesels, avec une vanne de réglage.
De cette manière une partie (réglable) des calories issues du tuyau d’échappement des moteurs passait au travers de l’huile de palme et la chauffait jusqu’à température désirée et en plus gratuitement.
Du réservoir, un petit tuyau amenait l’huile chaude vers le tuyau d’admission de mazout en amont du moteur.
Nous y avions placé une vanne bidirectionnelle qui permettait soit d’alimenter le moteur en mazout soit en huile de palme.
Le jour J.
Et un beau matin, nous avons chargé un séchoir Gordon avec 5 tonnes de café humide, nous avons mis le moteur en route avec le mazout, avons ouvert l’accès du gaz d’échappement vers le serpentin afin de réchauffer l’huile.
Et lorsque après environ 30 minutes, l’huile fut à 70 ° C , nous avons croisé les doigts et avons actionné la vanne bidirectionnelle coupant le mazout et acceptant l’huile de palme dans la pompe d’injection.
Le moteur tournait à 1500 tours/minutes; étant donné la capacité calorifique de l’huile, nous l’avons dit à seulement 80% de celle du mazout, je m’attendais à ce que le moteur perde de sa vitesse qui aurait du se stabiliser aux environ de 1200 tours/minutes.
Cela n’était pas grave, nous aurions pu nous en contenter et jouer sur le régulateur de vitesse du Diesel.
Un instant d’émotion ... et rien ne s’est passé, le moteur diesel à continué son petit bonhomme de chemin, aucune hésitation, aucune fumée suspecte à l’échappement, aucune vibration, tout est resté normal et nous ne l’avons pas arrêté durant 3 mois sauf pour faire la vidange du carter.
Toutes les 500 heures (soit trois semaines) nous coupions l’arrivée de l’huile, nous laissions fonctionner le moteur au mazout durant une demi-heure afin de nettoyer les tuyauteries, nous faisons une vidange et nous remettions en marche.
C’était quasi de l’allégresse
Immédiatement, la réussite de notre expérience s’est répandue dans la région et les réactions furent rapides, ce fut une grande liesse parmi les petits producteurs (le mot n’es pas trop grand) joie parmi nos amis paysans congolais qui ont commencé a amener des camionnettes, et des camions de produits, café, ou cacao à divers stade de séchage ou de fermentation.
A Kinshasa, au sein de ma Société ce aussi un grand contentement d‘autant plus que nous n‘avions pas prévenu de nos intentions; j’ai reçu des ballots de sacs de jute, du fil a coudre les sacs (nous avions trouvé une machine à coudre les sacs de marque allemande Fischbein que nous avions remise en état) et aussi quantité de Zaïre/monnaie pour acheter ce qui nous était livré par les villageois.
Mais ce qui intéressait surtout nos agriculteurs/transporteurs/hommes d’affaires des environs, ce n’était pas tellement de l’argent mais des textiles, des pièces de tissus, Utexco, Utexafrica et autres et nous verrons bientôt pourquoi.
Il faut dire que j’ai obtenu quasiment tout ce que je voulais de la part de l’Administration centrale de la Société qui m’employait, un simple message télégraphique et la marchandise désirée m’était livrée trois semaines plus tard par le premier bateau.
J’étais devenu l’enfant gâté mais aussi l’objet de quelques jalousies bien mal placées.
Nous avons fait de cette manière plusieurs centaines de tonnes de cacao et de café entre décembre 1978 et mars 1979, le tout, naturellement, destiné à l’exportation.
C’était, pour nous du travail intéressant car varié et sortant de l‘ordinaire: Jean-Baptiste surveillait ses machines et nos astuces et je négociais l’achat de la marchandise entrante, m’occupait de finaliser éventuellement la fermentation du cacao, d’estimer les temps de séchage par lots de la marchandise brute qui nous était livrée et qui nous arrivait à des degrés divers de fermentation (dans le cas du cacao) et d’humidité.
C’était distrayant et surtout stimulant, il est vrai que nous étions encore jeunes.
Les voies du commerce sont impénétrables
Généralement, les fermiers demandaient à être payés en argent liquide au niveau de 20 à 25 % de ce que je leur devais; le reste ils préféraient que je leur fournissent des textiles, pièces de tissus, pagnes, cotonnade, etc..
Il faut vous dire qu’à cette époque, le textile zaïrois avait très bonne presse, non seulement dans le pays mais dans les pays avoisinant.
De très bonne qualité, les dessins étaient modernes, les couleurs bien fixées et il n’y avait encore quasi aucune concurrence de la part des pays de l’Afrique de l’Ouest.
Qui n’est pas curieux ne sait rien, je me suis renseigné sur la finalité de ce commerce.
Les agriculteurs qui, possédant un camion (et ils étaient nombreux), chargeaient des ballots de tissus, complétaient leur chargement par quelques fûts d’huile de palme et acheminaient le tout à Bangui, capitale de la République Centre Africaine à seulement 400 kilomètres de piste de notre plantation.
Comment se débrouillaient-ils pour passer l’Ubangui qui sert de frontière entre les deux pays... cela je préfère ne pas le savoir, ... la débrouille africaine.
Ils revendaient leur marchandise à Bangui contre du bon argent CFA garanti par la France et ne subissant pas de dévaluation chronique... ou si peu.
Cet argent n’avait pas cours du côté zaïrois, mais il était dans toutes les poches de ces Messieurs commerçants.
A Bangui, ils se réapprovisionnaient en pièces de rechanges pour véhicules, carburant, batteries, pneus, amortisseurs, éventuellement l’achat d’un nouveau véhicule, quelques petites gâteries pour ces dames tels que bijoux et autres fanfreluches venant de Paris.
Le surplus financier était ramené à la maison et servait de réserve monétaire solide dont la valeur ne cessait, au fil des semaines d’augmenter.
Parfois, mon épouse demandait à l’un d’entre eux de nous acheter dans un supermarché français soit du vin de qualité soit quelques boites de foie gras... il ne faut se priver de rien.
Finalement, cette production agricole générait deux fois des devises.
Une première fois à l’exportation par la voie la plus normale en passant la douane à Matadi, et la seconde fois par une voie astucieuse connue de nos amis agriculteurs zaïrois qui revendaient la contrevaleur de leur production en devises fortes.
Les voies de l’économie, comme les voies du seigneurs sont parfois bien impénétrables !
Un sentiment de satisfaction
Ce sont des petites satisfactions de la vie coloniale; nous avons apporté notre brique au pays qui nous accueillait, nous avons sauvé la saison de récolte des paysans d’un demi territoire qui étaient enchantés.
Les esprits chagrins pourraient certainement penser que le grand bénéficiaire ce fut la société qui m’employait... peut-être, mais que de joie dans le Territoire de Budjala cette année là.
Cela se passait en 1978 , il y a 32 ans déjà
E.A.Christiane
Anderlecht, le 08 mars 2011
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