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26 septembre 2006 2 26 /09 /septembre /2006 15:01

La place de l’agriculture dans l’économie du Congo Belge

 

AVERTISSEMENT : Le présent texte a été écrit pour être inséré dans le livret explicatif d’un DVD publié en 2006 par MEMOIRES DU CONGO asbl, Avenue de l’Hippodrome 50 - B- 1050 - Bruxelles et intitulé :

Témoignages : Agronomes et Vétérinaires au Congo Belge et au Ruanda-Urundi - 1908 -1960.

Coordinateur: Pierre Butaye

Réalisateur du DVD: Guy Dierckens

Rédacteur: Ernest Christiane

 

 

L’agriculture est l’activité primaire de base dans tous les pays du monde. Elle permet de nourrir la population et ses acteurs sont le garant des traditions ancestrales, l’âme de la nation. Le Congo n’a pas fait exception et, à l’arrivée des premiers Européens, les entités traditionnelles, les diverses ethnies avaient organisé leur approvisionnement en fonction des disponibilités locales, la cueillette, la chasse, la pêche, complétées par la culture de quelques produits viviers et du petit élevage. La disponibilité des terres cultivables permettait d’assurer l’autosuffisance alimentaire à la population essentiellement paysanne dans des conditions climatiques normales.

Les approvisionnements n’étaient pas réguliers, non seulement ils étaient saisonniers mais sujets aux aléas de la météo ou des invasions d’insectes.

 

Peu de plantes vivrières sont originaires de l’Afrique centrale, le sorgho et le millet peut-être quoique certains scientifiques pensent qu’ils pourraient venir de l’Asie du Sud Est ou de l’Inde.

Les origines de l’igname, qui a toujours constitué l’aliment de base des gens de la grosse forêt n’a pas su être déterminée avec précision.

Par contre, en ce qui concerne l’arbre de vie, le palmier à huile, l’Elæis Guineensis, il est originaire du golfe de Guinée et semble avoir toujours été l’arbre miraculeux donnant une huile comestible abondante, une couverture à la hutte familiale et l’ivresse pour les moments de joie ou de tristesse.

 

Quant aux autres plantes comestibles consommées dans la cuvette congolaise elles proviennent des autres continents transportées dans les bagages des commerçants et trafiquants de tous poils.

 

D’Amérique Centrale ou méridionale, les négriers de l’Atlantique ou les commerçants portugais ont ramené au XVIIéme siècle l’arachide, la patate douce, le maïs, le cocotier, quoique celui-ci pourrait provenir de l’Océanie et surtout le manioc, base actuelle de l’alimentation d’une bonne partie de la population congolaise

 

Plus tard, fin du XVIIéme, début du XIXéme siècle, les Arabes ont introduit des espèces en provenance du Sud Est asiatique ayant transité par l’Inde, l’Arabie et la côte de l’océan indien, telles le ris, le soja; la canne à sucre aussi quoiqu’elle semble avoir été introduite à partir des Iles Canaries vers le XVéme siècle.

 

Le bananier est une des plantes les plus précieuses des pays tropicaux et subtropicaux. Il est originaire des régions tropicales de l’ancien monde, mais, les espèces comestibles ont leur berceau dans l’Asie sud orientale, l’archipel malais et les Iles Philippines. La présence du bananier dans la cuvette centrale remonte à très loin, il est déjà signalé par les trafiquants esclavagistes le long du fleuve Congo au XVIéme siècle.

 

1. L’État Indépendant du Congo

 

L’arrivée des premiers Européens suivi de l’organisation administrative et le développement économique du pays ont profondément modifiés la structure de l’agriculture.

 

Tout en continuant à subvenir aux besoins de la population sédentaire, il fallait aussi assurer l’approvisionnement des expéditions d’exploration, de l’administration, de l’armée et de toutes une série de petites agglomérations dont certaines prendront de plus en plus d’ampleur, centres administratifs, commerciaux ou miniers. Le glissement de population du milieu agricole vers les agglomérations naissantes eut pour résultat que les villageois agriculteurs devront dégager des surplus agricoles pour ravitailler ceux qui auront quitté le milieu agricole pour vivre dans les centres extra coutumiers. Dans un premier temps ce sera particulièrement difficile dans le Mayumbe et le bas Congo ou une grande quantité de cultivateurs seront détournés de leurs travaux agricoles traditionnels pour assurer le portage puis devront participer au ravitaillement de la masse de travailleurs importés pour la construction du chemin de fer. Ces grandes modifications structurelles seront encadrées non seulement par un tissu administratif naissant mais aussi par l’installation de missions dirigées par des congrégations religieuses ayant pour objectifs l’évangélisation mais aussi l’éducation et le développement sanitaire.

 

A cette époque, les exportations agricoles étaient axées sur les produits de la cueillette, essentiellement le caoutchouc des lianes laticifères et l’ivoire. Mais rapidement, des sociétés agricoles s’installent et se hasardent à investir dans une agriculture nouvelle et aléatoire. Quelques années plus tard, on assiste à quelques timides tentatives d’exploitation forestière qui tenteront de couvrir les besoins locaux. D’autres essais de plantations industrielles sont mis sur pied avec des résultats assez décevants, du café en 1881, du cacao en 1886 et de l’hévéa en 1904 introduit pour compenser la diminution des lianes laticifères surexploitées. Dès 1886, fut créée la C.C.C.I. (Compagnie du Congo pour le Commerce et l’Industrie), la douairière, qui envoya dans l’hinterland congolais en 1890 et 1891, deux expéditions dont la dernière fut prise en charge par la jeune Compagnie du Katanga afin d’explorer et d’évaluer les capacités économiques de ce vaste pays.

Dès 1886, le Syndicat de Mateba importe ses premières têtes de bétail.
En 1888, création de la Compagnie des Magasins Généraux et la Société Anonyme Belge pour le Commerce du Haut Congo (S.A.B.). En 1889, création de la Compagnie du Chemin de fer du Congo.

Dès 1894, quarante steamers sillonnaient le moyen et le haut fleuve ainsi que leurs affluents. Dés la fin du XIXeme siècle le milieu scientifique belge s’est attelé à faire l’inventaire de la flore du centre de l’Afrique, nous ne citerons aucun nom, les grandes figures sont bien connues mais combien de dévoués collaborateurs plus discrets mais tout aussi efficaces ont-ils été oubliés. Tandis que le Jardin Colonial de Laeken procède à l’introduction de plus de 800 espèces, le jardin botanique d’Eala, qui fut créé en 1900, la même année que celui de Kisantu, acclimate plus de 1200 espèces tropicales économiquement prometteuses.

En 1902 création de La Compagnie du Chemin de fer du Congo Supérieur au Grands Lac Africains (C.F.L.). En 1906 naissance de l’ Union Minière du Haut Katanga, La Compagnie du Chemin de Fer du Bas Congo au Katanga (B.C.K.) et la Société Forestière et Minière du Congo (Forminière).

 

2. La Colonie

 

La reprise du Congo, le 18 octobre 1908, par la Belgique a amené de très grandes réformes dans la politique économique.

Le gouvernement belge, nouveau responsable du Congo, s’est immédiatement employé sous l’impulsion du Ministre des colonies et sous la direction d’un Gouverneur Général responsable en Afrique à organiser un état moderne, à mettre en place une administration efficace et motivée. Durant les six premières années de la colonie, les efforts du gouvernement furent axés sur la mise au point de la politique coloniale. Dès 1910, il fut créé, au sein du Ministère des Colonies une Direction Générale de l’Agriculture. Le développement économique et le bien être des autochtones devenaient, immédiatement après l’organisation administrative, les principales priorités.

 

La production de cuivre par l’Union Minière du Haut Katanga a réellement commencé en 1911, dès lors, l’agriculture n’était plus le seul moteur économique de la jeune colonie. L’industrie extractive se diversifie, le cuivre bien sûr, à tout seigneur tout honneur, mais aussi l’or, le zinc, le diamant, le cobalt, le plomb, le tantale et les métaux rares; bref la mise en valeur du “scandale géologique”. Elle participe très largement à la prospérité du Congo mais détourne, ainsi que la construction et l’entretien des routes, la main d’œuvre agricole, les paysans, de leur activité traditionnelle.

 

Les grands centres extra coutumiers naissent autour des piliers industriels et administratifs et les agriculteurs qui sont restés dans les villages doivent redoubler d’efforts pour assurer l’approvisionnement en vivres des nouveaux citadins.

 

Les premiers investissements des entreprises agricoles se rentabilisent, d’autres sociétés apparaissent, des capitaux étrangers s’investissent dont le groupe britannique Lever Brothers qui crée la Société Huileries du Congo Belge. A partir de cinq concessions de soixante kilomètres de rayon, à Bumba, à Basongo, à Barumbu, à Lusanga et dans la Ruki-Momboyo, le groupe Lever Brothers développe ses sites d’exploitation par l’achat de produits aux villageois, dans un premier temps, puis par l’installation de plantations industrielles. Dès 1929, les Huileries du Congo belge, produisaient 30.296 tonnes d’huile de palme et 75.388 tonnes de noix palmistes.

 

L’élevage prendra de plus en plus d’extension durant toute la période coloniale malgré les difficultés non seulement d’acheminer des souches productives au centre de l’Afrique mais aussi de les adapter aux conditions climatiques et surtout de lutter, de tenter d’éradiquer les grandes maladies épizootiques telles que la trypanosomiase, la piroplasmose etc. De grands élevages virent le jour dans le Bas Congo, au Katanga et au Kivu, mais aussi dans les Bandundu, l’Ubangi et la Province Orientale.

 

De 1909 à 1960, l’essor de la colonie est croissant mais trois événements extérieurs influencent en sens divers le développement.

 

3. La première guerre mondiale

 

Cinq ans après la cession à la Belgique, la première guerre mondiale brisera le dynamisme de l’expansion en provoquant la rupture des communications avec la métropole.

 

Les efforts de production, spécialement de riz des montagnes, de café, de coton et d’huile de palme continuèrent cependant malgré les difficultés conjoncturelles:

 

 

 

 

Statistiques du commerce extérieur

année

tonnage

valeur

 

T

,000 BEF

1913

34.622

531.794

1914

32.477

509.501

1915

38.214

693.741

1916

62.844

1.247.203

1917

81.975

1.583.461

1918

65.602

1.078.932

1919

82.843

1.541.304

 

Grâce au travail de la population rurale encadrée par les Agents de l’Administration, la situation agricole fin de la première guerre mondiale était excellente.
Les produits de consommation non seulement étaient présents sur tous les marchés locaux, ruraux ou miniers, mais aussi flatteusement représentés sur les marchés internationaux.

La fin des hostilités a marqué le début d’une grande expansion économique suite à la création de quantité de nouvelles sociétés industrielles, commerciales et agricoles souvent mixtes. En milieu coutumier, le riz, le maïs, le manioc, les haricots, la patate douce, le soja, l’arachide, le coton; mais aussi des petites puis de grandes plantations d’huile de palme, de canne à sucre, de café, de bananiers, de thé, d’hévéa, de cacao, de tabac, sans oublier le pyrèthre, le quinquina, la papaïne, les plantes à fibres etc. qui ont vu leur production augmenter d’une manière étonnante suite aux efforts des paysans mais aussi des compagnies de plantations qui ont consentis de gros investissements dès 1910.

 

Les années 1918 à 1933 furent réellement des années d’expansion et de développement agricole de la Colonie. L’enseignement agricole prend de l’importance, tant de la part de l’administration coloniale et des missions, mais aussi de l’initiative privée des entreprises agricoles présentes sur le terrain qui forment leurs propres cadres subalternes puis bientôt supérieurs. Plusieurs stations d’essais furent créées à cette époque, tels Barumbu, Yangambi et Lula. En 1921, le gouvernement organise la culture cotonnière en milieu coutumier parallèlement au développement de l’industrie textile à Léopoldville et en 1933, la mise en place du paysannat agricole assure une large autonomie vivrière mais conforte aussi l’industrie textile. Ces paysannats avaient pour objectif un développement agricole intégré en vue de l’amélioration des conditions de vie en milieu rural. Le 9 juin 1926, fut créée la Régie des Plantations de la colonie (REPCO) afin d’étudier et de réaliser l’établissement de plantations modernes.

 

4. La grande crise économique

 

La crise économique de 1929 à 1934 freine le commerce extérieur et amène une diminution des exportations de l’ordre de 40 %.

 

Un grand nombre de Sociétés agricoles ont dû restreindre leurs activités, licencier de la main d’œuvre, et certaines, moins solides ont disparu de la scène économique. Il faudra attendre 1937 avant d’avoir retrouvé la croissance d’avant la crise.

Statistiques du commerce extérieur

année

tonnage

valeur

 

T

,000 BEF

1928

257.633

1.705.508

1929

300.333

2.006.086

1930

340.317

2.099.461

1931

273.373

1.533.519

1932

205.240

927.744

1933

269.064

914.446

1934

336.086

1.171.365

1935

398.983

1.202.943

1936

427.271

1.489.582

1937

601.704

2.556.674

 

 C’est en 1933 que fut créé l’Institut National pour l’Étude Agronomique au Congo belge (INEAC) avec pour objectif l’étude scientifique, l’amélioration, l’acclimatation des ressources agricoles, l’élaboration de techniques de plantation adaptées afin d’assurer aux populations autochtones le bien être nécessaire à leur développement et générer un surplus destiné aux marchés mondiaux.

 

L’INEAC a entrepris l’ étude scientifique non seulement des sciences de la terre et de l’environnement telles la géologie, la pédologie, la climatologie, l’entomologie, mais aussi l’amélioration du matériel végétal par sélection et génétique, la phytopathologie sans oublier les ressources forestières, la zootechnie , la pisciculture et la mécanisation. Reprenant les plantations de la Régie des Plantations de la Colonie (REPCO), développant d’autres stations de recherches réparties sur tout le territoire et surtout en créant la station de Yangambi où seront développées les recherches sur les cultures vivrières et industrielles, l’INEAC a pris une position en flèche dans la recherche agronomique et s’est hissé aux premiers rangs des institutions scientifiques internationales. Yangambi était devenu un haut lieu de la science agronomique.

 

5. La seconde guerre mondiale

 

Après une nette amélioration de la conjoncture, la seconde guerre mondiale a pour effet de soumettre l’économie congolaise aux besoins, aux exigences des alliés dans le cadre de l’effort de guerre.

Si l’industrie extractive est souvent citée comme exemple pour sa participation à la victoire alliée en 1945, l’agriculture n’est pas demeurée en reste. Un effort fut demandé aux chefferies, non pas uniquement durant la seconde guerre mondiale, mais déjà en 1917, afin d’augmenter le ravitaillement et l’équipement des armées.
Durant cette dure période, de 1940 à 1945 la production ne fléchit pas, l’effort de la Colonie pour soutenir l’action des alliés contre les forces de l’Axe fut considérable et déterminante pour la victoire finale.

 

 

 

 

 

 

Statistiques du Commerce extérieur

 

 

 

année

tonnage

valeur

 

T

,000 BEF

1939

499.420

1.785.966

1940

450.156

2.626.573

1941

505.806

3.446.759

1942

583.685

4.079.482

1943

634.867

4.838.454

1944

541.821

4.809.128

1945

598.981

4.991.455

1946

708.838

6.025.644

 

La fin de la seconde guerre mondiale voit la mise en place et la réalisation d’un plan décennal de planification publique du développement avec la participation des entreprises privées en vue de l’extension et de la rationalisation des créneaux du transport, de l’industrie et de l’agriculture qui prend de plus en plus d’importance face aux productions minières.

 

Valeur du produit 1947 (en milliers de francs) 1951

Produits agricoles 3.463.453 9.817.517

Produits miniers 4.201.648 9.769.051


 6. La dernière décennie

 

En 1951, la parité entre les deux branches majeures de l’économie congolaise était acquise, l’équilibre était atteint.

 

Le plan décennal est une grande réussite, entre 1945 et 1959, le revenu par habitant en milieu agricole a doublé et la population vivant de l’agriculture a augmenté de 20 % atteignant le chiffre de 10.768.000 habitants.

 

 

 

 

Produit

Référence 1948

Références ultérieures

 

 

 

 

Superficie

Production

Superficie

Production

Référence

 

Ha

Tonnes

Ha

Tonnes

Année

Manioc

587.001

567.096

583.273

780.632

1952

Palmier Elaeis

148.430

 

270.287

 

1959

Huile de Palme

 

155.452

 

245.216

1957

Noix palmiste 

 

111.513

 

140.000

1957

Café Robusta 

46.590

15.954

157.692

51.694

1959

Café arabica

12.136

3.238

26.021

8.727

1959

Cacao

12.546

1.625

23.669

4.514

1959

Thé

724

87

4.734

3.669

1959

Hévéa/CTC 

82.887

5.301

93.036

40.420

1959

Coton 

317.852

123.204

337.000

135.836

1957

Quinquina

4.868

960

4.844

1.742

1957

Pyrèthre

2.244

512

3.173

997

1952

Bananes Table

4.955

2.828

10.355

21.466

1952

Canne à sucre

2.685

 

3.427

 

1957

Sucre

 

15.730

 

17.331

1957

 

Le 30 juin 1960, jour de la passation des pouvoirs, de la cession de la souveraineté nationale aux Congolais, la Belgique, transmettait un pays prospère, à l’économie florissante, équilibrée, dans laquelle la part de l’agriculture était représentative et permettrait un développement rural tant par les études scientifiques mises en place que par l’enseignement et la production largement excédentaire.

 

Aucun habitant, congolais ou expatrié ne souffrait de malnutrition, d’insuffisance alimentaire.
L’élan était donné, l’horizon était dégagé, le Congo indépendant pouvait prétendre prendre place dans le concert parmi des nations modernes et prospères.

 

 

 

                                                                                     E.A.Christiane

                                                                              Pour mémoires du Congo  

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25 septembre 2006 1 25 /09 /septembre /2006 08:57

Yaligimba libéré

==========

 

                                   Mokili mokalamba

                                   Mokili mai na bwatu

                                            L'univers change, il est

                                            comme de l'eau dans une pirogue

                                                             (Chanson congolaise)

Début juin 1965, nous étions à Alberta, à douze kilomètres de Bumba et notre objectif était de récupérer la plantation de Yaligimba située soixante kilomètres au-delà de Bumba sur la route d'Aketi.

Les militaires avaient progressé vers Aketi, dépassé la rivière Loeka et établi une position à Yandombo, à l'embranchement de la route menant vers notre autre plantation de Mokaria et au-delà, à Basoko.

Yaligimba serait la plus grande plantation du Congo d'un seul tenant 13.500 hectares, au fait il y a deux plantations distinctes unies par le bloc Jonction, de quelques hectares, ce qui permet de dire que la plantation est d'un seul tenant.

C'est énorme: cent trente cinq carrés d'un kilomètre de côté, tout cela planté de palmiers dont les plus âgés dataient (nous sommes en 1965) de 1941 et les plus jeunes de 1959; une magnifique plantation.

Le premier juin, nous entreprenons une première prospection, deux jeeps avec mitrailleuses doubles affûts, une petite patrouille à travers la palmeraie afin de faire des estimations de coûts de remise en état, voir ce qui restait de l'usine, quelles maisons à réparer, où habiter dans un premier temps etc.

Les mercenaires qui nous accompagnaient étaient prudents, environ tous les deux kilomètres, parcourus sur les routes encombrées de végétation (qui reprend vite ses droits à l'équateur), nous nous arrêtions pour lâcher une longue rafale de Mi.30 afin d'avertir de notre présence et de faire fuir les éventuels éléments malfaisants.

La plantation de Yaligimba était donc dans une enclave conquise sur la rébellion, à environ 10 kilomètres au-delà de la rivière Loeka; nous étions protégés sur la route d'Aketi par une position située à Yandombo, une quinzaine de kilomètres plus loin.

Plus tard, une autre position sera établie vers Aketi à Bonduki, environ quarante kilomètres plus loin que Yandombo, à la limite de la Province orientale.

Les militaires avaient établi leur cantonnement sur la route d'Aketi, au centre commercial de Yaligimba; c'est ainsi que nous avons décidé de nous installer dans un premier temps, non pas au centre administratif de la plantation mais bien au Département des Recherches à un kilomètre de nos défenseurs.

Le premier juillet, c'est le grand jour, nous partons avec quatre véhicules légers, et douze camions bennes chargés à ras bord de tout ce qui fallait pour redémarrer.

Nous étions trois Européens, un directeur britannique avec qui j'avais déjà eu quelques aventures à Stanleyville et à Elisabetha en 1960-1961, Chris Lipscomb, un ingénieur belge et moi-même.

En ce qui me concernait, mon travail consistait à regrouper la main-d'œuvre, commencer à dégager la plantation et m'occuper des relations avec les militaires et les mercenaires.

Premier problème: des douze camions partis d'Alberta, seuls trois sont arrivés, c'était des nouveaux véhicules et les réservoirs avaient été enduits intérieurement de je ne sais quel produit qui s'est dissout sous l'action du mazout et a colmaté les injecteurs.

Petit problème finalement rapidement solutionné.

Après quelques trois ou quatre semaines nos travaux avançaient bien, la plantation se dégageait, les bâtiments étaient nettoyés les uns après les autres, l'usine contrôlée et bientôt nous pourrions envisager notre déménagement vers le centre de la plantation.

Chris Lipscomb et moi-même habitions une grande maison au centre de recherches, j'avais une chambre, ancien bureau, avec vue sur le jardin.

De par ma responsabilité de contact-man avec les militaires, je recevais tous les dimanches matin les mercenaires qui avaient des problèmes.

Divorces, problèmes de justice en Belgique, affaire en cours etc., j'ai rédigé quelques lettres destinées aux avocats, assisté à des tractations pour la vente d'un bar dans le quartier de la gare du Nord à Bruxelles, écouté des doléances diverses, donné des conseils à l'un, remonté le moral de l'autre, bref un travail d'assistant social.

Un jour, je constate, après une grosse pluie, qu'il y avait des odeurs bizarres dans ma chambre; après quelque prospection dans le jardin, je remarque une main décharnée qui sort de terre.

Les militaires avaient fusillé à cet endroit une douzaine de "rebelles" qui avaient d'abord creusé leur trou, un mètre maximum.

Nous y avons ajouté un camion de terre, que pouvait-on faire de mieux ?

Une nuisance étaient les chiens errants, réunis en bandes d'une dizaine, ils écumaient la plantation et parfois attaquaient les femmes et les enfants.

Ces chiens (ainsi que les cochons) avaient vécu presque un an en mangeant des cadavres, ils étaient dangereux parce qu’ agressifs et peut-être porteurs de maladies contagieuses.

Lorsque, en plantation, je rencontrais une de ces bandes, je réglais cela à la mitraillette, c'était radical, il nous a fallu un mois pour liquider le problème.

Enfin, fin novembre, la situation semblait suffisamment stabilisée pour que nos épouses, celle de Chris et la mienne, puissent venir nous rejoindre avec mon fils de presque cinq ans.

Il y avait aussi des choses plaisantes: j'avais récupéré dans la brousse, l'harmonium des sœurs que nous avons nettoyé, remis en état (il avait servi d'abri à une colonie de rats qui y avaient laissé un tas de déchets et même des petits cadavres).

Cet harmonium a agrémenté nos soirées pendant quelques mois et Monseigneur Waterschoot lors d'une visite en a conclu qu'avant de réintégrer la chapelle du couvent, cet instrument avait besoin d'être très sérieusement exorcisé.

Nous avions reçu pour Noël, une petite dinde à partager entre nous; contente, mon épouse veut la cuire au four.

Oui mais voilà, aucun récipient n'était assez grand pour contenir la bête; heureusement, une boîte à munitions, triangulaire, bien nettoyée, a fait l'affaire.

La débrouille quoi ! !

 

 

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25 septembre 2006 1 25 /09 /septembre /2006 08:50

 Trop de lions dans la même cage

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                    Mbwa na mbwa ikokabelanaka mokûwa te

                           Chien et chien ne se partagent jamais un os.

                                                         (Proverbe congolais)

Nous sommes au centre commercial de Yaligimba; réparti de chaque côté de la route vers Aketi, il compte une quinzaine de magasins de traite et une vingtaine d'habitations en briques adobes.

Les bâtiments sont temporairement abandonnés par leurs propriétaires après pillage mais peu de destructions.

C'est là que les militaires avaient installé leur cantonnement, à environ huit kilomètres de la position avancée de Yandombo.

Nous habitions à moins d'un kilomètre, il y avait donc pour nous protéger, une compagnie de l'Armée nationale congolaise, une compagnie de soldats katangais et un peloton de 46 mercenaires.

Tout le monde était relativement bien installé: un groupe électrogène "emprunté" à la plantation ainsi qu'une installation électrique assez peu sécurisée permettait à chacun d'avoir au moins un point lumineux dans son gourbi.

Ce jour là, aux environs du 20 août 1965, les mercenaires avaient eu un mouvement d'humeur et avaient décroché vers Bumba, ils étaient revenus dans l'après-midi.

Cette désertion courte et temporaire nous avait obligés à un déplacement périlleux afin de faire acte de présence dans deux positions tenues par les militaires congolais et de nous désolidariser des états d'âmes de nos compatriotes soldats de fortune.

Vers 17 heures, une estafette congolaise arrive à la maison et me dit :

- “Patron, le lieutenant dit qu'il faut que tu viennes sinon cela va être la guerre avec les mercenaires.”

Je prends ma voiture et arrive au centre commercial désert, mais à l'extrémité, côté Aketi, tous les militaires congolais étaient couchés dans les fossés, derrière leurs abris, à plat ventre, l'arme au poing.

Il me font un petit signe amical, ce qui me rassure, et je passe.

A l'autre bout, à environ 300 mètres, les mercenaires avaient mis une mitrailleuse .50 et deux mitrailleuses .30 en batterie; eux aussi étaient protégés et l'arme au poing.

Entre les deux, au milieu de la rue, le lieutenant congolais et le responsable des mercenaires, le lieutenant "Marceau".

Un silence angoissant, chacun attendait.

Le "lieutenant" "Marceau" était un ancien sous-officier de l'armée belge à Usumbura qui avait quitté l'armée pour je ne sais quelle raison et s'était engagé comme mercenaire.

Le lieutenant congolais était un homme breveté d'une académie militaire aux U.S.A. et qui avait eu une formation de "marine", il était très estimable et avait une haute conception de ses responsabilités.

J'arrête ma voiture sur le bas-côté, je repère discrètement un caniveau pour y plonger en cas de pépin et le dialogue commence:

 

- “Bonjour Messieurs, que se passe-t-il ?”

Marceau : -“Ces macaques ont volé des lampes et des tubes néon dans nos chambres.”

Le Lieutenant (d'un calme imperturbable): - “Ce sont des déserteurs, ils sont partis

sans même nous prévenir en abandonnant leurs positions, en emportant les armes lourdes, cela est du ressort du Conseil de Guerre.”

Marceau : - “Nos problèmes ne regardent pas ces singes, qu'ils retournent dans leurs

arbres et nous foutent la paix.”

Bref, le ton était donné, d'un côté un vrai militaire conscient de ses responsabilités, de l'autre un homme avec des réactions épidermiques; un seul point positif, ils avaient fait appel à mes bons services pour apaiser la querelle.

Je prends la parole:

- “Messieurs êtes-vous bien certains de ce que vous faites ? Nous sommes dans une situation explosive, si jamais un seul des 200 hommes ici présents perd son sang-froid, si jamais un seul coup de feu est tiré, ce sera un carnage incroyable dont les premières victimes seront nous trois qui sommes au milieu du jeu de quilles. Vous! Vous ! Et moi !

Pensez à vos responsabilités, vos hommes, les villageois, la plantation, le gouvernement qui vous paie, tout cela risque de faire énormément de dégâts pour quelques malheureuses ampoules électriques ! Mais, je rêve ! !

Ceux qui vont se frotter les mains ce sont les rebelles qui sont encore dans les environs. Que la bagarre ait lieu, et ce soir ils sont ici et le front recule de cent kilomètres.

Pensez-y.”

La discussion a encore duré une bonne heure, finalement, j'ai réussi à ce que "Marceau" exprime un quelconque regret pour ses mots inappropriés (c'est un euphémisme), ils se sont serré la main, l'histoire pouvait s'oublier, l'affaire était close.

Heureusement ils ne voulaient pas vraiment se battre.

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25 septembre 2006 1 25 /09 /septembre /2006 08:46

Transporteur de fonds

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                    Akei lokola mungwa na kati ya lisaso.

                            Il est parti comme du sel dans la marmite.

                                                     (expression congolaise)

Je ne sais plus exactement quand cela se passait, la rébellion était quasiment terminée, nous étions donc en 1967 mais la révolte des mercenaires n'avait pas encore eu lieu, c'était donc avant la quatrième semaine du mois d'août.

Nous avions besoin d'argent pour payer la main-d'œuvre en fin de mois, il fallait aller le chercher à Stanleyville, 4.500.000 francs congolais de l'époque.

Il n'était pas question de faire la route en voiture, c'est naturellement par le bateau courrier, dit I.T.B., qu'il fallait joindre Stanleyville et trouver sur place un petit porteur pour ramener l'argent à Elisabetha.

Je prends donc place dans le bateau fluvial et remonte tranquillement le fleuve, une petite journée de navigation bien reposante, entre le bar et ma cabine.

A Stanleyville, je contacte notre Société sœur, la Sedec, afin d'avoir les fonds et un avion pour rentrer.

C'est là que cela ça se gâte.

La situation militaire, une fois de plus, était explosive, les troupes d'origine katangaise sous la responsabilité du Colonel Tshipola étant quasiment en conflit ouvert avec les troupes de l'Armée nationale congolaise de Léopoldville.

Il faut dire qu'à cette époque, ni les Katangais, ni les mercenaires n'étaient encore réellement nécessaires, Joseph Désiré Mobutu avait créé le parti unique, la reprise en main du pays était bien engagée et il fallait trouver moyen de démilitariser les troupes étrangères ou d'origine peu fiable et politiquement peu sûres. Ils avaient cessé d'être utiles.

Je suis logé dans un appartement sur la grand-place, devant la poste, au quatrième étage, avec vue, par l'arrière du bâtiment sur les chutes des WaGenia et la rive gauche.

Toute la nuit, il y eut des échanges de coups de feu entre les deux rives du fleuve et le lendemain, si l'argent était disponible en banque, les avions petits porteurs, eux, étaient rentrés à Léopoldville.

Tout à fait exclu de retourner par la route, deux cent quatre-vingts kilomètres dont un bac, avec un chauffeur que je ne connaissais pas, des militaires et d'autres éléments incontrôlés dans la région et une malle remplie de fric; ceci eût été un suicide.

Finalement, on me trouve un pilote qui me dit qu'il décolle le lendemain à six heures du matin pour Léo; si je me trouve à l'aérodrome, il me prendra et me déposera à Elisabetha, qui est sur sa route.

Le soir, je vais prendre possession de la malle d'argent que je monte dans mon appartement.

Durant la nuit, je n'ai guère dormi, les informations vont vite et on aurait tué n'importe qui pour le dixième de la somme que je transportais.

Le lendemain, à quatre heures et demie du matin, une voiture vient me chercher et me dépose à l'aérodrome, avec mon petit sac et la malle d'argent.

 

L'aérodrome qui se trouve à deux kilomètres de la ville où six ans auparavant, j'avais vécu deux mois et demi, otage de Gizenga, était désert à part une garde somnolente de quatre ou cinq militaires.

J'étais assis, dans le noir, dans un hangar, sur une malle avec quatre millions et demi, alors qu'en ville les activités de la nuit se calmaient un peu.

Pour bien vous dire je n'étais pas fier, heureusement que la garde ne m'a posé aucune question en ce qui concernait le contenu de la malle.

Enfin, six heures, le pilote est là, nous embarquons en vitesse et j'étais chez moi, à Elisabetha pour le petit-déjeuner.

Il y a eu de sérieuses bagarres entre les deux factions armées, finalement, les Katangais sont rentrés à Elisabethville puis se sont réfugiés en Zambie.

Onze ans après, en 1978, ils attaquaient Kolwezi, eux ou leurs enfants, ou leurs frères peut-on savoir.

Et malgré tout cela, la faculté me dit que je ne suis aucunement cardiaque.

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25 septembre 2006 1 25 /09 /septembre /2006 08:11

Tendances sécessionnistes

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                              Vous étiez donc coupable

                         De quelques grands péchés

                         Pour que Dieu tout aimable

                         Vous ait tant affligé ?

                         Dites-nous l'occasion

                         De cette punition.

                                            (J. D'Ormesson - Le Juif errant)

 

Dès l'accession du pays à la souveraineté nationale, le 30 juin 1960, les forces centrifuges, sécessionnistes se sont déchaînées pour déchirer la République du Congo.

Devant les problèmes politiques dus à l'impréparation, aux promesses démagogiques, au manque de capacités intellectuelles, au défaut d'expérience, à la carence de valeurs morales des nouveaux dirigeants, à la mutinerie de l'armée garante théorique de la démocratie et du bien-être des populations, des fissures, des crevasses sont très rapidement apparues dans l'unité nationale.

Les responsables qui avaient pris la charge de la jeune République à peine éclose, sortant des fonts baptismaux, se sont trouvés face à des problèmes politiques, sociaux, militaires et bientôt économiques dont personne ne pouvait à l'époque mesurer l'amplitude, prévoir les développements et encore moins concevoir les solutions.

Voulant sauvegarder ses richesses potentielles, certain de l'appui des entrepreneurs locaux et des groupes financiers internationaux, Moïse Tshombe proclame l'indépendance de la province katangaise dès le 11 juillet.

Mécontent de ne pas avoir eu un portefeuille ministériel dans le gouvernement de son ami Patrice Lumumba, Albert Kalondji proclame l'indépendance de la province diamantifère du Sud-Kasaï dès le 8 août.

Révoqué par Joseph Kasavubu, Président de la République, le Premier Ministre Patrice Lumumba, après une tentative de fuite vers son fief de Stanleyville, est emprisonné à la mi-novembre 1960 et la Province orientale fait de facto sécession sous le contrôle d'Antoine Gizenga.

Chacun de ces protagonistes voulait posséder une part du gâteau, avoir le pouvoir sur une partie, la plus grande possible, la plus riche possible de la jeune République.

Les quatre ans qui ont suivi ont vu un déploiement d'actions diplomatiques, une dépense d'énergie, un gaspillage de temps, d'idées, pour remédier à cette situation.

Dès le mois d'août 1961, le Premier Ministre Cyrille Adoula, successeur de Lumumba, se réconcilie avec Gbenye et Gizenga aux détriments de Tshombe et la Province orientale rentre dans le giron de Léopoldville.

En septembre 1962, c'est la fin de la sécession kasaïenne, puis, avec l'aide musclée des forces de l'ONU., en janvier 1963, le Katanga se soumet.

Un groupe de modérés a beaucoup d'influence sur la pensée et l'action du Premier Ministre Adoula, le "groupe de Binza", comprenant Nendaka, Bomboko, Mobutu, Kandolo et Ndele qui constitue la tête pensante, insuffle le dynamisme politique nécessaire à la République du Congo.

Mais l'opposition systématique et négative d'une poignée de députés empêchant toute action gouvernementale, toute décision positive, a amené le Président Kasavubu à dissoudre les Chambres.

Ces irréductibles se sont alors réfugiés à Brazzaville où ils ont été pris en main par l'Ambassade de la Chine populaire.

Ils créent le Conseil National de Libération (C.N.L.) autour de Christophe Gbenye et de Bocheley Davidson, deux militants lumumbistes extrémistes convaincus et très actifs.

En 1963, se développe dans la région de Bandundu, plus spécialement dans les territoires de Ngungu et d'Idiofa, une rébellion menée par un ancien député du Parti Solidaire Africain (P.S.A.) fondé par Antoine Gizenga, le Député Pierre Mulele.

Pierre Mulele est né à Idiofa en 1929 et, élu député en mai 1960, il entre comme ministre dans le gouvernement dirigé par Patrice Lumumba.

Réfugié à Stanleyville fin 1960, il sera représentant au Caire de la dissidence de la Province orientale; il y restera après la réconciliation de 1961.

Il voyage en Chine continentale en 1962 et sera de retour dans le Bandundu en 1963 où il mettra en application tout ce qu'il a appris à Pékin.

La rébellion éclate dans la région du Kwilu le 1er janvier 1964 et bientôt l'on déplore le massacre de trois Européens à Kilembe.

L'état d'exception est proclamé le 18 janvier 1964; l'Armée nationale congolaise intervient et confine la dissidence dans un triangle de 100 kilomètres de côté couvrant partiellement les Territoires de Kikwit, Ngungu et Idiofa.

On parlera beaucoup de Mulele à Léopoldville et son nom aura un rayonnement partout où des émeutes éclatent; il acquerra, malgré son peu d'actions sur le terrain, un charisme certain dans les milieux de la violence politique au Congo.

A la même époque, en 1964, Gaston Soumialot est envoyé de Brazzaville à Usumbura, au Burundi où la République populaire de Chine possède, là aussi, une ambassade pléthorique.

Immédiatement, des problèmes surgissent au Kivu à partir du Territoire de Fizzi-Baraka adossé au lac Tanganyika.

Cela va dès lors très vite.

Persuadé de l'invincibilité des troupes rebelles, rumeur soigneusement entretenue par les militaires en fuite et les populations crédules, les soldats réguliers se débandent, changent de camp, abandonnent matériel, véhicules, armes et munitions.

Les troupes rebelles trouvent aussi un appui considérable, dans un premier temps, auprès des populations civiles lasses des exactions commises par les militaires réguliers indisciplinés, mal payés, peu encadrés et vivant sur le pays qu'ils considèrent comme une terre d'occupation.

Ce fut, de la part des Chinois, une rébellion économique, ils y ont peu, très peu investi; l'important était de déstabiliser le régime, de créer un abcès de fixation au centre de l'Afrique, d'affaiblir l'économie de la région et par réaction celle de l'Occident.

Lorsque le reflux surviendra, lorsque les rebelles, drogués au chanvre, sans formation militaire ou idéologique, des pillards, des violeurs, des massacreurs lâchés dans les villages et les agglomérations subiront les premiers revers, se débanderons, à leur tour, prudemment, lâchement, les Chinois se retireront et laisseront ces prédateurs, grugés, trompés se faire exterminer par les troupes régulières.

Le gouvernement Adoula tombe le 15 mai 1964 en même temps que la ville d'Uvira se rend aux mains des rebelles.

Tshombe est rappelé de Madrid pour former une nouvelle équipe et le recrutement des mercenaires s'accélère; devant la liquéfaction de l'armée régulière ils constituèrent le dernier atout possible de Léopoldville pour éviter que l'entièreté du pays n'échappe au contrôle du gouvernement légal.

En Province orientale, la situation est tendue, le torchon brûle entre le Parlement et le Gouvernement provincial, des armes sont volées par des inconnus dans les arsenaux, la ville de Kindu tombe aux mains de Soumialot le 15 juillet et Stanleyville aux mains du général rebelle Olenga le 7 août 1964.

L'objectif de cette sécession n'était plus d'obtenir une part du gâteau, mais le gâteau tout entier.

Le 3 septembre 1964, ils contrôlent environ le tiers de la surface de la République du Congo mais ont déjà subi un premier échec.

A Bukavu, le 15 août, le Colonel Léonard Mulamba les a empêchés de prendre la ville, le mythe de l'invincibilité devient caduc et cela se sait.

Des commandos de mercenaires, des troupes fraîches débarquent à Boende et à Gemena, encadrent une partie des troupes locales jugées fiables et commencent leur inéluctable progression vers la capitale rebelle.

Dès lors, le reflux sera rapide.

A Stanleyville et dans toute la zone occupée par les insoumis, la situation est dramatique, les infrastructures sont détruites, les champs sont en friche, les populations civiles et encore plus les quelques centaines d'expatriés aux mains des insurgés sont exploités, humiliés, torturés, violés, assassinés ou réduits en quasi-esclavage.

Sous la responsabilité d'une poignée de militaires belges agissant dans le cadre de l'Assistance technique, une colonne mécanisée part de Kamina; son arrivée à Stanleyville sera coordonnée, le 24 novembre 1964, avec le droppage de parachutistes métropolitains.

La ville est investie, plusieurs dizaines d'otages étrangers sont libérés, mais il y a des victimes.

C'est le début de la fin de la dissidence, une terrible rébellion qui a fait énormément de dégâts, qui a généré beaucoup de drames humains.

Ce ne sera pas - hélas ! - la dernière.

Je faisais partie d'une équipe de quelques techniciens expatriés dont la mission était de réoccuper, de réorganiser, les plantations du Groupe Lever immédiatement après leur libération par les troupes régulières.

 

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25 septembre 2006 1 25 /09 /septembre /2006 08:05

Soldats de fortune

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                    Misapi mya loboko mikokani te

                         Tous les doigts de la main ne se ressemblent pas.

                                                     (Proverbe congolais)

 

Durant plus de deux ans, de mai 1965 à juillet 1967, nous avons eu l'occasion de fréquenter journellement ce que l'on appelle généralement les "mercenaires" mais que nous appelions les "volontaires".

Parmi eux, nous avons connu de vrais guerriers, des soldats chevronnés avec beaucoup d'expérience.

Il ne fallait pas s'attarder sur leur passé qui parfois était discutable, d'ailleurs ils étaient presque toujours connus sous un nom d'emprunt.

Kurt, un Allemand, tireur hors pair, je l'ai vu, assis sur le siège passager d'une jeep, son fusil fal dans le creux de son coude droit, tirer au jugé et abattre un oiseau perché sur l'arbuste au-dessus de lui.

Cet homme ex-militaire de la Wehrmacht durant la Seconde Guerre mondiale a préféré, pour des raisons personnelles, ne pas rester en Europe après la guerre et a travaillé au Paraguay dans une exploitation forestière.

Durant 17 ans, il a vécu, en forêt, son arme à la main; indépendamment de son passé, c'était un guerrier, un homme sérieux dans son travail de militaire et en qui on pouvait faire confiance question sécurité.

Il y avait aussi le lieutenant Max Kerberenes (nom d'emprunt évidemment) un ancien du 2me REP (Deuxième régiment étranger de parachutistes) en mai 1958 à Alger, il avait crapahuté dans l'Aurès durant de nombreux mois, il avait l'expérience du terrain et de la guérilla.

Vital aussi, plus âgé, il avait été à la Légion Wallonie, un survivant de Tcherkassy.

Sur ceux-là et leurs semblables on pouvait compter.

Mais il y avait aussi les autres, des petits délinquants qui voulaient prendre un peu de distance avec leur milieu, des maquereaux et un tas de personnages indéfinissables.

Il y avait un Finlandais qui se promenait avec dans sa poche, dans du papier journal, un échantillon de ses selles; il prétendait avoir attrapé quantité de parasites intestinaux et essayait de convaincre tout qui il rencontrait.

Beaucoup de déçus sentimentaux, des violents, des ivrognes et aussi des garçons les plus normaux qui soient et qui voulaient seulement vivre une expérience, se frotter au danger.

Il y avait aussi les deux frères, liégeois, dont un était cleptomane; il le savait et ne se formalisait absolument pas, lorsque sortant de chez nous, ses amis lui demandaient de vider ses poches; nous récupérions ainsi cendriers, clefs, ouvre-bouteilles etc. Quoi de plus normal que d'être cleptomane?

Fin 1964, rue Berckmans, à Saint-Gilles, mon épouse et moi-même sommes accostés par un Monsieur, nettement plus âgé que nous qui cherchait la rue Capouillet; nous lui indiquons bien volontiers et ... sa figure nous semble familière.

Il nous dit être Johnny Guitare, un acteur qui a tourné, en 1938, je pense, avec de grandes vedettes à Hollywood; il nous montre des photos, c'était bien lui.

Un peu plus d'un an plus tard, nous l'avons retrouvé à Basoko, mercenaire, nous nous sommes reconnus et il nous a expliqué qu'il ne pouvait plus jouer de la guitare en professionnel, sa main droite étant très abîmée suite à une bagarre dans un bar à Yokohama, nous dit-il.

C'est rue Capouillet, à Saint-Gilles que se situait le bureau de recrutement.

Ces militaires-là étaient certainement beaucoup moins fiables que les professionnels. On peut comprendre.

Durant le second semestre 1964, la rébellion muleliste était maître des deux tiers du territoire congolais, ce sont les mercenaires qui ont remplacé l'Armée nationale en liquéfaction; une équipe est partie de Boende pour libérer la cuvette, au sud du fleuve Congo; une autre de Gemena pour libérer le nord du fleuve Congo et une colonne de militaires congolais sous le commandement du Colonel BEM J.L.A. Vandewalle, encadrés de techniciens belges, ce que l'on a appelé l'Ommegang, est partie de Kamina.

Tous convergeaient vers Kisangani.

La colonne militaire de la 5me brigade, partie de Kamina, a coordonné son arrivée à Stanleyville avec le droppage des paras belges le 24 novembre 1964.

C'est à cette date que la ville a été libérée ainsi que les otages étrangers qui y étaient détenus.

La pacification du territoire durera encore de nombreux mois.

Les mercenaires étaient engagés pour des termes de six mois à l'issue desquels ils avaient droit à un mois de congé.

Nourri, logé et équipé bien entendu, le simple soldat touchait 22.000 francs belges par mois et le sous-lieutenant ou faisant fonction 34.000 francs belges (nous étions en 1965).

A chaque réengagement le contrat stipulait qu'il toucherait net 1.000 francs en plus mensuellement.

Ils avaient aussi une assurance au bénéfice de leurs proches de 1.000.000 de francs belges en cas de décès durant leur contrat.

En 1967, cette rébellion là (il y en aura d’autres) était en liquidation, Mobutu avait repris le pays en main, le parti unique le "Mouvement populaire de la révolution " (M.P.R.) était créé et regroupait tous les Zaïrois.

Il fallait se débarrasser des mercenaires et de leurs alliés, les ex-gendarmes katangais qui eux étaient commandés par le colonel Tshipola.

Ce furent les révoltes des Katangais puis des mercenaires qui ont fini par rendre leurs armes à l'armée ruandaise le 5 novembre 1967.

Les quelques mercenaires qui se trouvaient à Léopoldville en transit à ce moment, partant ou revenant de congé, dont une de nos connaissances, le Docteur Juan Redondo avec qui nous avions vécu un an à Lukumete en 1962, ont été fusillés au camp Kokolo et leurs corps auraient été jetés dans le fleuve.

Une manière comme une autre d'opérer un licenciement pour suppression d'emploi sans que cela ne coûte trop cher.

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25 septembre 2006 1 25 /09 /septembre /2006 07:59

Soixante ans les séparaient

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                                          Allez et enflammez le monde

                                                                  (Ignace de Loyola)

 

Au printemps 1966, nous venions de réoccuper Elisabetha (Lokutu) protégés par des militaires et des volontaires, entendez par volontaires ce que l’on a appelé des mercenaires.

Les opérations militaires étaient loin d’être terminées, la pacification était toujours en cours.

Nous étions au cimetière de Basoko pour enterrer un de ces mercenaires tué dans une embuscade sur la route de Koret en territoire de Yahuma.

De par ma fonction, je représentais mon employeur dont les plantations étaient protégées par ces hommes armés.

Cimetière de brousse, cimetière d’Afrique, peu entretenu, sur occupé, désordonné et la seule place que l’on avait trouvée pour donner une sépulture un peu décente à cet homme tué au combat était dans le sentier, séparant des blocs de tombes.

Pendant la brève cérémonie, mes yeux se posent sur la tombe voisine, séparée de la fosse dans laquelle nous enterrions le militaire par seulement une trentaine de centimètres.

Je m’aperçois alors que c’est celle d’un grand, d’un très grand explorateur, George Grenfell.

George Grenfell, missionnaire de la Baptist Missionnary Society, a exploré une partie du Cameroun de 1874 à 1884; il a reconnu le tracé d’au moins quatre rivières.

En 1884, il est venu au Congo et durant deux ans, a parcouru plus de 20.000 kilomètres reconnaissant à bord de son bateau baptisé “Peace”, dont la carcasse serait toujours à Kinshasa, l’Ubangi jusque Zongo, la Mongala, l’Itimbiri, la Lomami, le Kasaï, le Kwango et quantité d’autres rivières dans la cuvette.

Soixante ans les séparaient.

Etrange situation dans laquelle deux hommes tellement différents se retrouvent voisins, très proches voisins pour l’éternité.

L’un, militaire de fortune, l’autre missionnaire; l’un qui vivait de violence sans état d'esprit tuant et détruisant lorsque cela était nécessaire; l’autre, homme de paix, de bonté, venu pour répandre "sa bonne parole"; l’un homme sans beaucoup de spiritualité, l’autre théologien.

Deux visions différentes de la manière d'enflammer le monde.

Mais l’un comme l’autre sont morts, ont donné leur vie pour un pays, un coin de continent dont ils ignoraient jusqu’à l’existence dans leur prime jeunesse.

 

POST-SCRIPTUM

 

Durant le mois de mai 2007, quatre ans après avoir écrit le texte ci-dessus, je lisais les carnets du Docteur Paul Briart, édités par Dominique Ryelandt chez “ L’harmattan” en 2006.

Intitulé : “ AUX SOURCES DU FLEUVE CONGO - Carnets du Katanga (1890 - 1893)”

 

En page 64, je lis:

 

“ Histoire de Messieurs Grenfell et Comber.

“ Ces deux missionnaires anglais étaient au Congo depuis quelques temps quand ils éprouvent

“ l’envie de se marier. Ils écrivent donc à leur maison commettante, qui se hâte de leur expédier

“ deux jeunes filles blanches, l’une destinée à Comber, l’autre à Grenfell. Mais celui-ci, malin,

“ et d’ailleurs chef à ce moment, prit le bateau et s’en alla recevoir la marchandise. Il s’aperçut

“ que la future Mme Comber était beaucoup plus jolie que l’autre. Il profita de ce qu’il était seul “ pour l’épouser, laissant sa propre future épouser M. Comber. Le procédé était assez peu

“ délicat pour un missionnaire, et la Providence lui devait un châtiment. En effet, il arriva tôt:

“ ayant pris au service de sa femme une jeune et jolie négresse, il les emmena avec lui au

“ Cameroun où il devait faire une sorte de villégiature. Là, il perdit sa femme, et comme il avait

“ près de lui cette jolie servante, la faim, l’occasion,...

“ Enfin, il succomba et lui fit un enfant. Là dessus grand tapage et blâme énergique de la maison “ mère, qui le somma de réparer la vitre brisée et le rétrograda, lui donnant pour supérieur le “même M. Comber, jadis son inférieur et qu’il avait trompé si singulièrement.”

 

Et en page 74:

 

“ 3 novembre (1890) - Arrêt à Bolobo pour faire du bois. Nous y voyons la mission Grenfell, très “ bien établie, gouvernée par Mme Grenfell, une noire du plus beau teint, qui a deux ou trois

“ enfants demi-blancs.”

 

Quelque prestigieuse que soit la carrière d’un homme, quelqu’ élevé que soit le sens de son dévouement envers sa foi, envers son prochain, il est aussi un homme avec ses faiblesses et ses traits de caractère personnels, foncièrement humains.

L’anecdote relatée ci dessus, ne doit en aucun cas ternir notre admiration envers ce grand explorateur, ce grand humaniste, ce grand missionnaire convaincu que sa foi était la bonne, bref, ce grand homme qu’était george Grenfell.

 

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25 septembre 2006 1 25 /09 /septembre /2006 07:53

 

 

Quelle tristesse ...

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                                                             Mené

                                                             Teqel

                                                              Oupharsin

                                                                         (Daniel 5.1.25)

 

Quelle tristesse de voir ce beau pays, que nous avons connu, ce grand pays riche et généreux implosé par les forces intérieures, déchiré, partagé, écartelé par ses voisins.

Ceux qui, Congolais ou expatriés, ont contribué à quelque échelon que ce soit, à sa construction, à sa consolidation, à son organisation, à son expansion, à ses espoirs, bref, tous ceux qui l’ont aimé, ne peuvent se résoudre à accepter un tel échec, un tel désastre.

Les belles provinces agricoles, la province orientale et les deux Kivu sont en dissidence et s’appuient sur l’Uganda et le Ruanda.

Plus à l’ouest, l’Ubangi est sous l’autorité du commandant Jean-Pierre, fils d’un homme d’affaires de Kinshasa, d’origine Gbaka, l’ethnie amie de celle de Mobutu; les affinités ethniques ramèneront presque nécessairement les limites de la zone d’influence de la République Centrafricaine des rives de l’Ubangi et de l’Uélé, aux rives du fleuve Congo.

Le Shaba, notre Katanga, aux richesses minières encore bien réelles, livré en gage aux alliés zimbabwéens et autres.

Le Kasaï et ses diamants, qui pourrait être le dernier bastion de l’actuel régime, mais qui intéresse les Angolais, gouvernementaux ou opposants.

Quelle tentation aussi pour les BaKongo d’essayer de reconstituer l’ancien Royaume de Congo, avec sa large ouverture sur l’océan, ses ports en eau profonde de Pointe-noire à Luanda, ses richesses pétrolières, son énorme puissance hydroélectrique et ses richesses agricoles sur des terres qui s’étendent jusque Kikwit.

Mais aussi que de problèmes : des tendances indépendantistes à Cabinda; une rébellion qui isole la capitale du Congo-Brazzaville; un voisin puissant, l’Angola; une mégapole, Kinshasa, pluriethnique, véritable abcès de fixation de tous les problèmes de la région et virtuellement ingérable; deux langues (eux aussi) le portugais et le français, qui pourraient être supplantées par le kikongo, mais qui lui, est une langue locale; bref encore un éventuel très long chemin à parcourir.

Qui voudrait du reste : cette énorme région, à l’intérieur de la courbe du fleuve, au nord du Kasaï et à l’ouest de la Lomami; Mbandaka pourrait trouver preneur, mais des agglomérations comme Boende, Ikela, Monkoto, Basankusu, Djolu, Yahuma, isolées dans une terra qui redevient petit à petit incognita.

Qui en voudrait ?

Que reste-t-il de l’infrastructure administrative, routière, médicale, agricole, commerciale de ce pays?

Que reste-t-il de la Pax Belgica et même de la Pax Mobutu ?

Les populations des villes sont pressurées par tout ce qui a grade et doivent payer tribut chaque fois qu’elles s’aventurent sur la voie publique afin que les fonctionnaires, mal payés ou non payés, puissent eux aussi faire vivre leur famille.

Dans les villages, où comme le disait le Président Kabila, beaucoup de villageois n’ont pour tout bien qu’une houe et ne voient plus passer de véhicule parce qu’il n’y a plus de route; ces villages vivent repliés sur eux-mêmes comme il y a cent vingt ans lorsque Stanley les révélait au monde.

Tippou-Tip, Mirambo, Kabongé, Roumaliza et leurs bandes de négriers ont disparu, mais sont remplacés par des groupes armés, braconniers, soldats déserteurs ou perdus, miliciens de tous poils, qui, lorsqu’ils font une apparition dans ces paisibles villages, se servent, sous la menace de leur kalachnikov, sans beaucoup de vergogne sur les maigres biens des paysans déjà bien dépourvus.

Ce n’est cependant pas la fin, un pays ne peut disparaître, une page se tourne, un nouveau chapitre va s’écrire, mais qui aura l’envie, la force, les capacités, l’honnêteté, l’opportunité, la volonté politique surtout, de redresser la barre, de pacifier, de réunifier et de réorganiser le pays ?

Le festin de Balthazar est terminé, les convives sont repus pour aujourd’hui, beaucoup d’entre eux se sont éclipsés par la porte de service emportant quelques trésors du temple.

Les autres se réveillent très péniblement d’une énorme gueule de bois.

Quant au peuple, il est resté spectateur, aux fenêtres brillamment éclairées, regardant le Prince et ses amis se gaver des richesses du pays, de leurs richesses.

On leur a donné, pour les calmer, des jeux: une coupe du monde de football, un match de boxe chargé de symboles, des flonflons militaires, des feux d’artifice, des discours et des promesses.

Du pain aussi ou plutôt de temps à autre un os à ronger, une zaïrianisation, des fêtes à la Nsélé, mais du grand festin, ils n’ont reçu que quelques miettes tombées de la table.

Au lendemain de l’Exposition universelle de 1958, les leaders politiques congolais espéraient pouvoir être les Moïse appelés à conduire le peuple congolais vers un pays où coulerait le lait et le miel.

Quatre décennies, quarante ans plus tard, après une longue errance, leurs enfants, tous les Josué du Congo, sont, hélas !, encore très loin de la terre promise.

Quelle tristesse.

E.A. Christiane

 

 

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24 septembre 2006 7 24 /09 /septembre /2006 11:19

Protection rapprochée

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                              Les hommes, lorsqu'ils sont des hommes

                              doivent bien porter un couteau

                                                             (Nicolas Guillen -1902)

 

Il est évident que durant les périodes troubles, lorsque nous reprenions les plantations des mains de la rébellion muleliste, nous devions avoir une certaine protection et surtout ne jamais parcourir la plantation sans être accompagnés par quelqu'un de confiance.

Il est dans le caractère africain, en tout cas congolais, d'être entier, ou totalement dévoué ou totalement opposé, même si parfois les opinions peuvent changer.

A Yaligimba, nous avions comme chauffeur un certain Mongengo, un homme violent, sans pitié, qui avait fait tous les coups avec les militaires et qui avait un plaisir à partir en opération avec l'une au l'autre patrouille.

Ce qu'il avait fait durant l'occupation rebelle, il ne me l'a jamais dit, il n'en parlait pas.

Dès que les premiers Rhodésiens et Sud-Africains mercenaires sont arrivés à Yaligimba en patrouille de reconnaissance, bien avant la libération du poste, il s'est mis à leur service comme éclaireur et était très efficace.

Je l'ai pris comme chauffeur dès que je suis arrivé à Alberta, en mai 1965.

En temps normal, nous ne lui aurions fait aucune confiance, il était sadique, s'il n'avait pas été avec nous, il aurait été contre nous et très dangereux; un vrai forban.

Totalement dévoué à ma famille, il m'accompagnait partout, m'informait de tout ce qui se tramait tant parmi la main-d'œuvre que parmi les militaires congolais auprès desquels il avait beaucoup d'amis.

De temps à autre il me demandait trois jours de liberté et partait en patrouille avec quelques têtes brûlées comme lui; il revenait avec des "souvenirs", souvent des brochettes d'oreilles, de testicules ou de verges des rebelles simba ou soi-disant tels.

A Elisabetha, en 1966, c'était Joseph Litolombo.

Avant l'arrivée des mulelistes, il travaillait à Lukumete, où j'étais Chef de Secteur, comme chauffeur de l'ambulance.

Le chef des rebelles l'a pris, avec son ambulance, comme chauffeur personnel.

Lorsque son véhicule est tombée définitivement en panne, le commandant rebelle continuait à se pavaner avec une équipe de prisonniers ou de travailleurs qui poussaient la voiture par monts et par vaux.

Finalement, Joseph a déserté lorsqu'il a vu le vent tourner.

C'était un homme précieux, il avait été témoin de beaucoup de choses, vivant dans l'entourage d'un (ir)responsable de rébellion.

Il possédait le sens du danger et était un agent de renseignements averti.

Joseph connaissait le passé trouble de chacun, était aimé et bien connu de l'ensemble de nos travailleurs (et surtout de leurs filles) et avait, lui aussi, ses petites et grandes entrées chez les militaires.

Lors de la reprise du poste, il est devenu mon chauffeur-garde du corps, absolument dévoué tant à ma personne qu'à celle de mon épouse et de mon fils.

 

En principe, ces chauffeurs-garde du corps n'étaient pas armés, mais il m'arrivait fréquemment, lorsque la nécessité se faisait sentir de leur confier une arme, sans aucune appréhension; d'ailleurs, il y avait toujours des armes à feu, des armes blanches ou des grenades dans les véhicules; s'ils avaient voulu nous faire un sort, ils n'avaient que l'embarras du choix.

Il faut bien faire confiance à quelqu'un.

Je ne sais ce qu'est devenu Mongengo, il a continué son travail de chauffeur à Yaligimba, mais je l'ai perdu de vue.

Quant à Joseph Litolombo, je lui ai confié le camion "long courrier" et lui ai pardonné lorsque quelques années plus tard, en état d'ivresse, il s'est retourné sur la route détruisant totalement son véhicule et a dû être hospitalisé durant trois semaines.

 

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24 septembre 2006 7 24 /09 /septembre /2006 11:14

Pauvre hère ! !

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                                        Maltraité, il s'inclinait;

                                      tel l'agneau conduit à la boucherie

                                                                      (Isaïe - 53-7)

Début 1966, il y avait déjà plus de six mois que nous avions réoccupé la plantation de Yaligimba; la région était pacifiée mais nous avions quand même un certain nombre de militaires qui devaient nous protéger et quadriller les petits villages voisins.

Un peu à l'écart de la plantation, j'avais emprunté pour la première fois, avec ma VW coccinelle, une piste qui traversait quelques hameaux qui petit à petit se réinstallaient.

A une cinquantaine de mètres de la route, sous un abri en feuillage, je vois deux militaires congolais que je connaissais avec ce que je crois être un prisonnier.

Il s'agissait d'un homme probablement quinquagénaire, couché sur une natte, les mains liées derrière le dos, qui criait et pleurait de douleur.

Il n'avait pas été tabassé mais ses mains étaient entravées, très serrées par une corde de chanvre que les soldats mouillaient régulièrement.

Le lien, rétréci par l'eau, était profondément entré dans les chairs et ses mains étaient gonflées, la peau tendue et tuméfiée; cela devait faire un mal de chien.

Son faciès reflétait non seulement la souffrance, mais aussi la maladie; il était cerné, les joues creuses, les yeux éteints, la peau grisâtre et matte.

Le vieil homme était en piteux état, dans une situation de souffrance indescriptible, il était soumis, c'était un agneau que l'on amenait vers le bourreau, il endurait son calvaire en pleurant, gémissant et bavant, mais, tyrannisé, tétanisé, il savait qu'il était devant l'inéluctable, aux mains de ses tourmenteurs.

Son esprit déjà amoindri, par la maladie ne pouvait avoir aucune influence sur sa personnalité

Son corps subissait, sans aucune poussée d'adrénaline, sans essayer de se défendre, pour lui tout espoir était perdu et cela semblait dans l'ordre des choses.

- “C'est un sorcier, me dit un des deux soudards, il a tué trois de ses enfants en bas âge, anormaux, ainsi que sa femme. Ce sont ses beaux-frères (entendez les frères de son épouse) qui nous ont prévenus et qui exigent des aveux. Il ne comprend rien et ne veut pas parler. Mais nous y arriverons.”

Je m'approche de lui, je l'examine et remarque ses gencives gonflées et blanches ressemblant à de la gomme de bureau.

Je demande aux militaires ce qu'ils croient que cela puisse être :

- “C'est la preuve de sa sorcellerie, l'expression de ses pouvoirs occultes et maléfiques.”

Comment faire arrêter cette torture ? Je n'avais aucune autorité sur ces soldats.

A ce moment, par chance, arrive une jeep militaire avec à son bord le lieutenant, commandant de la compagnie.

Ce lieutenant, un Congolais, était un homme très bien, diplômé d'une académie militaire aux Etats-Unis, il avait subi un entraînement de "Marine".

Il me demande ce qui se passe, nous discutons un peu puis il va voir le prisonnier.

A son retour, il me dit: - “Qu'en pensez-vous ?”

- “Mon lieutenant, à mon avis, cet homme n'est pas plus sorcier que vous et moi, il est très gravement malade, il est mourant; regardez ses gencives, c'est de la gommose, un stade très avancé de la syphilis. Si ses enfants sont décédés en bas âge, c'est qu'ils étaient hérédosyphilitiques et sa femme a aussi été contaminée. Il est d'ailleurs complètement abruti, une épave. Que vos hommes lui laissent terminer ce qu'il lui reste de vie en paix et surtout qu'ils arrêtent de torturer ce malheureux pour satisfaire l'esprit de vengeance de sa belle-famille !”

Sur ordre du lieutenant, les liens sont non pas tranchés, mais déliés (ils pourraient toujours servir dans des futures circonstances identiques) et le lieutenant et les deux soudards repartent en jeep.

Je regarde alors cet homme, assis sur sa natte, l'air totalement absent, se massant les poignets, dans un autre monde avec cependant ce que je crois être une petite lueur dans la pupille... peut-être un "merci" mais je n'en suis même pas certain.

Dieu sait si dans son esprit je ne faisais pas aussi partie de ses tourmenteurs.

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